DROIT COMPARE : LE DROIT A L'IMAGE AU QUEBEC
J'en entends déjà certains qui se gaussent...
Pourquoi rédiger un article sur le droit à l'image au Québec ? Quel peut être l'intérêt pour un avocat marseillo-marseillais de connaître le régime du droit à l'image applicable dans la « Belle Province » ?
En réalité, l'avantage d'un article de droit comparé (outre le fait que cela permet à l'auteur de passer pour un érudit, ce qui est, il faut bien le dire, assez agréable) est d'éventuellement puiser des idées chez les autres, puisque n'en déplaise à Jean-paul Sartre, l'enfer ce n'est pas forcément eux.
Je pense en effet comme le dit Saint-Exupéry dans le Petit Prince que « Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente. ».... Et vice versa.
Revenons donc à nos moutons...
En France, depuis l'insertion de l'article 9 dans notre Code civil, le régime de responsabilité découlant de la violation de la vie privée est très protecteur, puisque toute atteinte portée à ce droit est condamnable par elle-même, sans qu'il soit nécessaire de prouver une faute de son auteur ni un dommage subi par la victime.
Cela s'explique par la nécessité de faire cesser l'illicite, qui ne requiert pas la preuve d'un préjudice.
Ce phénomène n'est pas un phénomène isolé puisque cette tendance protectrice peut également, dans une certaine mesure, être constatée au Québec.
Il convient de rappeler que le Québec est un des rares endroits au monde, avec l'Etat de Louisiane, où le Droit Romain et la Common Law se côtoient et s'enrichissent mutuellement.
Il est en effet intéressant de noter que la doctrine dans la Belle Province se réfère aussi bien au Doyen Carbonnier qu'aux arrêts de la Cour Suprême des Etats-Unis.
Rappelons également que dans les pays de Common Law la source essentielle du droit est le précédent jurisprudentiel alors que dans les pays de Droit Romain, cette source essentielle est la loi écrite.
C'est la raison pour laquelle au Québec, si les principes de droit civil, notamment ceux du droit au respect de la vie privée, sont des principes écrits, la jurisprudence en la matière permet d'apporter des éclaircissements intéressants, d'autant plus que contrairement à la France la phase de délibéré n'est pas secrète.
En effet, les juges « dissidents » ont le droit d'exprimer leur point de vue ; cela permet de voir le droit prétorien en pleine création et dans certains cas de « sentir » l'arrivée d'un revirement jurisprudentiel.
Le Québec étant toujours, jusqu'à preuve contraire, une province du Canada, il convient donc de se référer au principe constitutionnel Canadien pour trouver les premières références du droit au respect de la vie privée.
Le statut constitutionnel de la vie privée a été établi par une interprétation large des articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés .
« 7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. »
Le Québec, en tant que Province, a adopté le 27 juin 1975 la Charte des droits et libertés de la personne qui est entrée en vigueur le 28 juin 1976.
Cette Charte est une loi dite « fondamentale », car aucune disposition d'un texte à valeur normatif ne peut être contraire à certains droits qui y sont énoncés.
Cette Charte a donc, au Québec, une valeur infra constitutionnelle et supra législative.
L'article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne prévoit expressément : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée. »
Il est important de préciser qu'à l'instar de la France, le droit à l'image en tant que droit constitutionnel autonome n'existe pas, il est considéré comme une des composantes de la vie privée.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le droit à l'image ne protège que les images qui concernent la vie privée.
Il est également prévu à l'article 9.1 de la Charte que les droits peuvent éventuellement faire l'objet de limitation, puisque la loi peut en aménager l'exercice.
Le droit civil Québécois reconnaît non seulement le droit au respect de la vie privée mais encore le droit à l'image.
La réforme du Code civil Québécois à la fin des années 1990 a voulu en effet traduire les mutations profondes qu'avait subies la société québécoise depuis 1866 date du premier Code.
C'est ainsi que dans la disposition préliminaire du nouveau Code civil il est solennellement déclaré que :
« Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne et les principes généraux du droits, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.
Le Code est constitué d'un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapporte la lettre, l'esprit ou l'objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger. »
Le premier titre du livre premier du Code énonce les principes généraux relatifs à la jouissance et à l'exercice des droits civils.
L'article 3 dispose :
« Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à la l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. »
Le deuxième titre du Code est consacré à certains droits de la personnalité, et les dispositions relatives à la vie privée sont prévues à l'article 35 qui précise :
« Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l'autorise. »
L'article 36 dispose :
Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants :
(...)
3 Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés.
L'article 49 la Charte des droits et libertés de la personne prévoit que la violation des droits et libertés qu'elle définit donne droit à réparation :
«Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages intérêts punitifs ».
L'article 1457 du Code civil québécois (cousin germain de l'article 1382 du Code civil français) précise également que :
« Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde. »
A l'instar de la France, l'autorisation d'un individu doit être obtenue préalablement à la diffusion de son image.
A défaut d'autorisation, l'individu photographié peut agir pour obtenir réparation en sollicitant l'attribution de dommages et intérêts.
Ce principe a été établi il y déjà de longues années au Canada. (Rebeiro c. Shawinigan Chemicals (1969) ltd., [1973]C.S. 389).
Comme cela a été précisé, le régime de responsabilité de la violation de la vie privée, au Québec, est théoriquement fondé sur la notion de faute prouvée.
Toutefois, le régime de responsabilité s'est rapproché du système français grâce (ou à cause) du célèbre arrêt Aubry (qui n'a rien à voir avec l'instigatrice des 35 heures), qui est un des plus importants arrêts de la jurisprudence Québécoise relative au droit à l'image.
Cet arrêt revient sur la notion de faute, de preuve du préjudice et surtout sur le montant des dommages et intérêts.
Les faits de l'espèce sont simples :Une jeune fille de 17 ans, Pascale Claude Aubry, a été photographiée, sans son autorisation par un photographe dénommé Gilbert Duclos, alors qu'elle se trouvait assise sur un marchepied, devant un immeuble de la rue Sainte Catherine à Montréal.
Cette photographie a été publiée par la société Vice-Versa Inc. dans un ouvrage à vocation artistique tiré seulement à 722 exemplaires.
La jeune fille décide alors d'intenter une action à l'encontre du photographe et de l'éditeur en sollicitant la somme de 10 000 Dollars Canadiens (soit environ 6 468 €uros) dont la moitié à titre de dommages et intérêts compensatoires et l'autre à titre de dommages et intérêts exemplaires dits punitifs.(1)
Le tribunal de première instance de la Cour du Québec, fait droit à la demande et condamne solidairement l'éditeur et le photographe à verser à la victime la somme de 2 000 Dollars Canadien. (soit environ 1 394 €uros).
Le juge Bourret, en charge de l'affaire reconnaît dans sa décision que la publication non autorisée de la photographie constituait une faute à laquelle ont contribué l'éditeur de la revue ainsi que le photographe qui lui a confié la photographie.
Toutefois, le Juge modère son jugement en précisant que la photographie n'ayant aucun caractère diffamatoire, ni en elle-même ni par association au texte qui l'accompagnait dans la revue, aucune indemnité ne peut donc être allouée à ce titre. Il a également, en l'absence de preuve d'intention malicieuse chez les défendeurs, refusé d'accorder des dommages exemplaires.
Le photographe et la société d'Edition décident d'interjeter appel de la décision.
En 1996 la Cour d'appel confirme majoritairement la décision du tribunal de première instance en apportant quelques précisions.
Comme cela a été dit, l'avantage du système Québécois réside dans le fait que les justiciables peuvent connaître la teneur des délibérés qui ont permis d'aboutir à la décision.
Il convient de revenir sur certaines des positions des juges.
Ainsi dans l'arrêt de 1996, les juges LeBel et Biron ont précisé que :
«La faute résidait non pas dans la prise de la photographie, mais dans sa publication. Selon le juge LeBel, qui écrit pour la majorité, l'intimée se trouvant dans un lieu public lors de la prise de la photographie, on ne saurait voir dans ce seul geste une violation de son intimité. La publication non autorisée de la photographie constituait, toutefois, une atteinte à l'anonymat, composante essentielle du droit à la vie privée.»
Cependant, le juge Baudouin enregistre une opinion dissidente sur la question de l'indemnisation
«On ne saurait imputer un dommage du seul fait de la diffusion fautive de la photographie. On ne saurait, non plus, dissimuler sous le vocable "dommages nominaux" l'absence de preuve des dommages. Cela est d'autant plus important, à son avis, lorsque le droit à la vie privée est revendiqué à l'encontre de la liberté d'information ou de la liberté artistique.»
C'est la raison pour laquelle, le juge Baudouin refuse de considérer comme une preuve suffisante du préjudice, la seule affirmation de l'intimée : «le monde ont ri de moi» (sic).
Gilbert Duclos et Les Éditions Vice Versa inc. décident alors de porter l'affaire devant la Cour suprême qui, le 9 avril 1998, rejette leur recours.
Les juges L'Heureux-Dubé, Gonthier, Cory, Iacobucci et Bastarache estiment que :
«Le droit à l'image est une composante du droit à la vie privée inscrit à l'art. 5 de la Charte québécoise. Dans la mesure où le droit à la vie privée cherche à protéger une sphère d'autonomie individuelle, il doit inclure la faculté d'une personne de contrôler l'usage qui est fait de son image. Il faut parler de violation du droit à l'image et, par conséquent, de faute dès que l'image est publiée sans consentement et qu'elle permet d'identifier la personne en cause.[...] La pondération des droits en cause dépend de la nature de l'information, mais aussi de la situation des intéressés.
En somme, c'est une question qui dépend du contexte. Sur le plan de l'analyse juridique, il est inutile de recourir à la notion de l'"information" socialement utile" retenue par la Cour d'appel.[...] Le droit d'un artiste de faire connaître son oeuvre n'est pas absolu et ne saurait comprendre le droit de porter atteinte, sans justification aucune, à un droit fondamental du sujet dont l'oeuvre dévoile l'image...
La faute, comme l'admettent de façon quasi unanime doctrine et jurisprudence française et Québécoise, consiste dans la captation de l'image elle-même, soit dans sa diffusion, lorsque ces actes ne sont pas autorisés par la personne elle-même ou justifiées par l'une des exceptions classiques, notamment la présence dans certains cas dans un lieu public, le rôle du personnage public, la satisfaction du droit à l'information ou à l'histoire, la préséance de l'ordre public. »
Le juge Lamer, pour la majorité, vient enfin préciser :
«Il ne semble donc y avoir aucune justification pour donner préséance aux appelants, si ce n'est leur position qu'il serait très difficile, en pratique, pour un photographe d'obtenir le consentement de toutes les personnes qu'il photographie dans des lieux publics avant de publier leur photographie. Accepter ce genre d'exception, c'est en fait accepter que le droit du photographe est illimité, pourvu que sa photographie soit prise dans un endroit public.»
En ce qui concerne les dommages et intérêts, les juges affirment qu'il convient de distinguer entre deux types de dommages, extrapatrimoniaux et patrimoniaux.
«Comme le souligne le doyen Nerson dans sa thèse Les droits extrapatrimoniaux (1939), [...] le dommage "peut consister simplement dans le déplaisir qu'éprouve la personne à devenir une 'figure connue'". La publication de l'image d'une personne qui divulgue une scène de sa vie privée porte atteinte au sentiment de pudeur "éminemment respectable" de la victime et peut lui causer un préjudice moral considérable.[...] En ce qui a trait à l'aspect patrimonial de l'atteinte à la vie privée, nous sommes d'avis que l'exploitation commerciale ou publicitaire de l'image, qu'elle soit d'une personne connue ou d'un simple particulier, est susceptible de causer à la victime un préjudice matériel. L'indemnité doit alors être calculée en fonction de la perte effectivement subie et du gain manqué.[...] Le témoignage de M. Gilbert Duclos révèle que celui-ci doit habituellement payer entre 30 $ et 40 $ l'heure pour les services d'un mannequin, généralement pour une période de deux à quatre heures. L'intimée aurait donc normalement eu droit à une somme d'argent.»
Pour ce qui est du préjudice moral, le juge Lamer écrit :
«Un auteur français affirme que le dommage, en cas d'atteinte au droit à l'image, "peut consister simplement dans le déplaisir qu'éprouve la personne à devenir une 'figure connue'".[...] Avec égard, cette affirmation ne saurait signifier que la seule infraction à un droit de la personnalité entraîne au Québec la responsabilité civile en l'absence de preuve de préjudice, contrairement à ce qui semble possible en France : P. Kayser, La protection de la vie privée (2e éd. 1990), aux pp. 222 à 266.»
Il est intéressant de noter qu'à l'instar du droit français, les juges Québécois ont estimé que la faute consistait dans la seule captation de l'image sans qu'il soit démontré une quelconque intention de nuire.
Par contre, contrairement à la France où dans certains cas les dommages et intérêts dans les affaires de droit à l'image peuvent s'assimiler à des dommages intérêts « punitifs » (Voir notamment CASS.CIV 2ème 5 novembre 1996 Grimaldi C/Voici) Bull.civ. II, n°378 ; Resp.et ass. 1997, n°1, p.9 ; JCP 1997, II, 22805, obs. J. RAVANAS ; D.1997, p.403, note S.LAULOM), les juges Québécois, qui pourtant possèdent dans leur arsenal juridique lesdits « dommages et intérêts », ont une position plus modérée et ne semblent pas céder pas à la tentation que l'ont pourrait appeler «américaine ».
Plusieurs auteurs militent pour une réforme de notre droit à l'image pour que les dommages et intérêts, en cas de violation de ce droit fondamental, ne soient octroyés qu'en cas de préjudice prouvé.
Or, il est intéressant de constater que le fait d'avoir un régime de responsabilité sans faute prouvé, tel que celui du Québec et de l'article 9 de notre Code civil, peut parfaitement se concilier avec l'octroi de dommages et intérêts fondé sur la préjudice subi.
Nous avons donc beaucoup à apprendre de nos cousins.
(1) Si en France, le montant des dommages et intérêts correspond toujours au montant du préjudice réellement subi qui doit être prouvé par le demandeur, ce n'est pas le cas au Québec car le juge peut accorder des dommages et intérêts excédant les préjudices réellement subis, cette majoration visant ainsi à pénaliser celui qui s'est rendu « coupable » d'une faute intentionnelle ou d'une grave négligence.
Cette notion de dommages et intérêts punitifs, apparue pour la première fois en Angleterre dans la célèbre affaire datant de 1763, Huckle c/Money est la marque caractéristique du droit de la responsabilité civile des pays de Common Law.
Toutefois il est intéressant de constater que dans son rapport remis au Garde des Sceaux en septembre 2005, la commission Catala désignée pour préparer la refonte de notre droit des obligations et de notre droit de la prescription avait préconisé l'introduction dans notre droit des dommages et intérêts punitifs.
Un nouvel article 1371 devait en effet être introduit dans le Code civil dans les termes suivants :
« L'auteur d'une faute manifestement délibérée et notamment d'une faute lucrative, peut être condamné, outre les dommages et intérêts compensatoires, à des dommages et intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor Public. La décision du juge d'octroyer de tels dommages et intérêts doit être spécialement motivée et leur montant distingué de celui des autres dommages et intérêts accordés à la victime. Les dommages et intérêts punitifs ne sont pas assurables. »
Cette réforme n'a jamais été suivie d'effet mais qui sait ....