L'EGALITE DES ARMES EN MATIERE PENALE
L'EGALITE DES ARMES EN MATIERE PENALE
« Lorsque la France se targue d’être la patrie des droits de l’homme, c’est une figure de style. La France, et c’est déjà beaucoup, est la patrie de la Déclaration des droits de l’homme, mais aller plus loin relève de la cécité historique » Robert Badinter, « La France et la Cour européenne des droits de l’homme », conférence du 16 mars 2011 au Conseil de l’Europe (http://coenews.coe.int/vod/20110316_02_w.wmv)
1/ LES TRAITES ONT UNE AUTORITE SUPERIEURE A CELLE DES LOIS.
1- L’article 55 de la constitution dispose :
« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »
2-Selon une jurisprudence de principe bien établi, le juge judiciaire français doit écarter l’application de la loi interne lorsque celle-ci s’avère contraire à un traité (Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, société des Cafés Jacques Vabres, D. 1975, p 497) :
« MAIS ATTENDU QUE LE TRAITE DU 25 MARS 1957, QUI, EN VERTU DE L'ARTICLE SUSVISE DE LA CONSTITUTION, A UNE AUTORITE SUPERIEURE A CELLE DES LOIS, INSTITUE UN ORDRE JURIDIQUE PROPRE INTEGRE A CELUI DES ETATS MEMBRES; QU'EN RAISON DE CETTE SPECIFICITE, L'ORDRE JURIDIQUE QU'IL A CREE EST DIRECTEMENT APPLICABLE AUX RESSORTISSANTS DE CES ETATS ET S'IMPOSE A LEURS JURIDICTIONS; QUE, DES LORS, C'EST A BON DROIT, ET SANS EXCEDER SES POUVOIRS, QUE LA COUR D'APPEL A DECIDE QUE L'ARTICLE 95 DU TRAITE DEVAIT ETRE APPLIQUE EN L'ESPECE, A L'EXCLUSION DE L'ARTICLE 265 DU CODE DES DOUANES, BIEN QUE CE DERNIER TEXTE FUT POSTERIEUR;D'OU IL SUIT QUE LE MOYEN EST MAL. FONDE; »
Les justiciables sont donc certes recevable à invoquer les dispositions de la loi française, mais quand ces dernières sont contraires aux dispositions internationales, ils peuvent peut invoquer ces dernières directement.
2/ LE PRINCIPE GENERAL DE L’EGALITE DES ARMES REGISSANT LA MATIERE PENALE.
- Normes internationales.
1-L’article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales stipule :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
- Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
- Tout accusé a droit notamment à :
-
- être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
- disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
- se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
- interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
- se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »
-
Pierre angulaire de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 6 rencontre, selon l’expression d’un auteur, une "irrésistible extension du contentieux du procès équitable ». (cf R. Koering-Joulin, introduction générale au colloque du 22 mars 1996 sur « les nouveaux développements du procès équitable au sens de la Convention européenne des droits de l’homme », édition Bruylant, 1996 , P.10)
Evoluant dans un sens toujours plus protecteur des Droits de l’homme, il couvre un territoire en expansion, en même temps que se renforce la portée de ses garanties
2-L’artcile 47 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne dispose :
« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice. »
2-Dans le droit de l'Union européenne l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne assure, dans le droit de l'Union, la protection conférée par l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
3-L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques énonce
« Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice »
L’article 26 du même texte précise :
« Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit, sans discrimination, à une égale protection de la loi. »
Le Comité des droits de l’homme de l’ONU fait application de ce principe, rejoignant ainsi la position de la Cour européenne (Robinson c. Jamaïque - 30 mars 1989).
- Textes nationaux.
1-Le principe d’égalité est omniprésent dans de nombreux documents élaborés pendant la Révolution française et notamment dans la Déclaration de 1789, que ce soit à l’article 1 er :
"Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits",
Ou à l’article 6 : "La loi doit être la même pour tous".
C’est la raison pour laquelle le principe d’égalité est la norme de référence la plus invoquée et la plus utilisée pour le contrôle de constitutionnalité des lois en France.
2-Avec la loi du 15 juin 2000, le législateur a voulu inscrire dans le texte même du Code de procédure pénale le contenu de l’article 6 de la Convention européenne.
Ainsi l’article préliminaire de ce Code énonce :
« I. - La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.
Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement.
Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.
II. - L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale.
III. - Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi.
Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur.
Les mesures de contraintes dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne.
Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable.
Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction.
En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui. »
- L’égalité des armes définition et jurisprudence.
L'égalité des armes veut que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire.
L'égalité des armes a pour but d’assurer l'équilibre entre les parties à la procédure, en garantissant que tout document fourni à la juridiction puisse être évalué et contesté par toute partie à la procédure.. (Arrêt de la Cour (grande chambre) du 6 novembre 2012 Europese Gemeenschap contre Otis NV e.a. ECLI identifier: ECLI:EU:C:2012:684)
- Jurisprudence internationale
1-Il sera rappelé que la Commission européenne a employé cette expression pour la première fois le droit à un procès équitable dans l'affaire Szwabowicz c. Suède le 30 juin 1959 :
« Le droit à un procès équitable implique que toute partie à une action civile et a fortiori à une action pénale, doit avoir une possibilité raisonnable d’exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la désavantagent pas d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse. »
2-Le terme « égalité des armes » a été utilisé pour la première fois dans l'arrêt Neumeister c. Autriche (27 juin 1968) par la Cour européenne des droits de l'homme, comme composante du procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial.
La jurisprudence est depuis en perpétuelle « expansion ».
2- Selon la Cour Européenne, le libre accès aux pièces du dossier, y compris au besoin la possibilité d’obtenir copie des documents pertinents, sont d’importantes garanties d’un procès équitable.
Les refuser pèse lourdement en faveur d’une violation du principe de l’égalité des armes (Beraru c. Roumanie, § 70).
3-Il sera cité quelques exemples d’atteintes à l’égalité des armes ci-après :
- Dans son arrêt Delcourt c. Belgique du 17 janvier 1970, donnant au mot équité son sens étymologique d’égalité « aequitas », elle formulait encore ce principe par a contrario, en jugeant qu’un procès ne serait pas équitable s’il se déroulait « dans des conditions de nature à placer injustement une partie dans une situation désavantageuse. »
- Ce qui importe c’est qu’aucune partie ne se voie conférer une position privilégiée, y compris s’il s’agit de l’Etat ou d’un service public tel que le ministère public (arrêt Hentrich c. France, 22 septembre 1994).
- Le refus d’auditionner le moindre témoin de la défense ou d’examiner des preuves à décharge tout en additionnant des témoins de l’accusation et en examinant des preuves à charge peut poser problème sous l’angle de l’égalité des armes (Borisova c. Bulgarie, §§ 47-48 ; Topić c. Croatie, § 48).
- Il y a atteinte à l’égalité des armes lorsque, pour des motifs d’intérêt public, l’accusé a un accès limité à son dossier ou à d’autres documents (Matyjek c. Pologne, § 65 ; Moiseyev c. Russie, § 217).
- La non-communication de preuves à la défense peut porter atteinte à l’égalité des armes (ainsi qu’au droit à un procès contradictoire) (Kuopila c. Finlande, § 38.)
- Si le juge écarte des demandes par excès de formalisme, l'accès à la justice n'est pas garanti et le principe de l’égalité des armes est de facto violé (Sotiris et Nikos Koutras ATTEE c. Grèce (2000), RTBF c. Belgique (2011).
- Le refus d'accès au dossier pénal est une violation du droit à l'égalité des armes. (CEDH 18 mars 1997, Foucher c. France)
- La Cour juge que, faute d’avoir offert au requérant un examen équitable de sa cause devant la Cour de cassation dans le cadre d’un procès contradictoire, en assurant la communication du sens des conclusions de l’avocat général et en permettant d’y répondre par écrit, il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 6, paragraphe 1)(26 juillet 2002, Meftah c. France (arrêt de Grande Chambre):
4- Rappelons préalablement que par un arrêt du 15 avril 2011, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a posé le principe de l’autorité immédiate des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, en ces termes :
« Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ; […] Attendu que pour prolonger la rétention, l’ordonnance retient que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ne lient que les États directement concernés par les recours sur lesquels elle statue, que ceux invoqués par l’appelante ne concernent pas l’État français, que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’impose pas que toute personne interpellée ne puisse être entendue qu’en présence de son avocat et que la garde à vue, menée conformément aux dispositions actuelles du code de procédure pénale, ne saurait être déclarée irrégulière ; Qu’en statuant ainsi alors que Mme X… n’avait eu accès à un avocat qu’après son interrogatoire, le premier président a violé les textes susvisés » (Ass. plén., 15 avril 2011, pourvoi no 10-17.049, Bull. 2011, Ass. plén., no 1).
5-De la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, on retiendra, plus particulièrement, les enseignements suivants :
– Les traités ne constituent pas un simple accord international, mais donnent naissance à un « nouvel ordre juridique de droit international au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs représentants » (CJCE, arrêt du 5 février 1963, Van Gend en Loos, aff. 26/62) ;
– L’ordre juridique ainsi institué s’intègre à l’ordre juridique de chacun des États membres et l’emporte sur l’ordre juridique des États membres sans distinction (CJCE, arrêt du 15 juillet 1964, Costa c/. Enel, aff. 6/64) ; l’intégration vaut également pour les règles du droit dérivé qui font « partie intégrante, avec rang de priorité, de l’ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des États membres » (CJCE, arrêt du 9 juin 1978, Simmenthal, aff. 106/77, AJDA 1978, p. 323) ;
– La Cour de justice confère, plus largement, aux règles du droit des Communautés européennes hier, du droit de l’Union européenne aujourd’hui, primauté, effectivité et immédiateté dans leurs rapports avec le droit des États membres.
Tel que façonné par la jurisprudence de la Cour de justice, l’ordre juridique de l’Union européenne n’est pas sans effet sur le rôle imparti aux juridictions des États membres.
Il s’impose, en effet, à celles-ci, érigées en autant de juges de droit commun des règles du droit de l’Union européenne, à charge pour elles de donner à celles-ci leur plein effet, au besoin en laissant inappliquée, de leur propre autorité, toute disposition contraire du droit interne, même postérieure, sans qu’elles aient à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (CJCE, arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal aff. 106/77 précité, points 21 et 24, et CJUE, arrêt du 19 novembre 2009, Filipiak, C-314/08, point no 81).
- Jurisprudence nationale (qui doit respecter les décisions de la CEDH).
1- Il est incontestable que c’est la jurisprudence de la Cour européenne qui a poussé le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à instaurer, en 1989 (Cons. const., déc. n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 :, consacrant « l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties »), puis à autonomiser, en 2005 (Cons. const., déc. n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005) la notion de procès équitable.
Depuis, notamment depuis l’instauration de la QPC, le Conseil fait un usage régulier de ce principe qui vient le plus souvent en complément d’autres libertés, qu’il s’agisse des droits de la défense ou de l’impartialité et l’indépendance des juridictions pour asseoir ses décisions qui touchent à l’équité de la procédure.
2- Sur le plan judiciaire, c’est le 6 mai 1997 que, pour la première fois, a été cassée par la chambre criminelle (Bull. n° 170), pour violation de l’égalité des armes, une décision des juges du fond.
Le principe d’égalité des armes y est énoncé très clairement même si l’expression figure entre guillemets- c’est un comble puisque c’est un principe supérieur à la loi française- marquant ainsi qu’elle n’appartenait pas au vocabulaire usuel de la Cour :
« Attendu que le principe de "l’égalité des armes" tel qu’il résulte de l’exigence d’un procès équitable, au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, impose que les parties au procès disposent des mêmes droits ; qu’il doit en être ainsi, spécialement, du droit à l’exercice des voies de recours... »
3-Ccomme cela a été dit, pour la Cour de Cassation :
« Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation » (Ass. plén., 15 avril 2011, pourvoi no 10-17.049, Bull. 2011, Ass. plén., no 1).
- Conclusions.
1-Que ce soit sur le plan international ou sur le plan interne, les droits de la défense, le droit à un procès équitable, le droit de l’accès au juge, et bien évidemment l’égalité des armes sont de plus en plus protégés.
2-Il appartient aux juridictions françaises de faire une juste application de ces évolutions jurisprudentielles car « s’il ne faut pas subir la météo du jour, il fait tenir compte du climat du moment. »
Dans ce cadre, la France pourra être enfin la patrie des droits de l’homme.
cle ici...